Je me souviens de
la pluie sur la table et dessous, de l’odeur du bougainvillier, de la glycine.
Des photos de vacances en vrac à ne plus savoir quoi qui quand.
Je me souviens
des premiers spectacles, ceux intimistes sur l’herbe du jardin et les vrais là
dans cette cour/garage/cinéma et les feux des projecteurs braqués sur d’autres
que moi mais je sens bien que c’est mon cœur qu’on illumine.
Je me souviens de
ma respiration à l’approche du lever de rideau symbolique, qui s’intensifie,
qui prend plus de place, dans le noir on ne doit entendre qu’elle pensais-je.
Ce n’est pas moi
qui remet tout en jeu et en question ce soir mais c’est moi quand même.
Je me souviens
déjà du visage de mes étudiants, de leur concentration, écrire le bon mot à la
juste place et choisir celui qui correspond le mieux à l’émotion tapie tout au
fond. Je ne me souviens pas encore, mais bientôt, de leurs textes affichés au
mur et de leur portrait en contrepoids. On ne sait pas qui a écrit quoi. On ne
sait pas mais on joue à deviner et c’est beau comme ça, c’est juste comme ça .
Etre juste, voilà
ce qu’aux cours de théâtre on nous répétait.
Il n’est toujours
et uniquement question, il me semble, que de défendre le beau face à l’utile. Au milieu de ces objectifs de
communication, de praticité, voir surgir l’esthétique pure et simple, l’émotionnel
qui ne demande rien à personne si ce n’est à soi et en saisir tous les
bénéfices. Il n’y a pas de compte à rendre. Il n’y a plus d’explication à
donner. « Mais à quoi ça sert ? quel est l’objectif ? » je
n’en ai rien à faire et je ne m’en défendrai pas. Mais cela ne sert à rien
mesdames messieurs cela ne sert à rien comme ne servent à rien la lumière du
soleil le matin sur la terrasse et l’ombre de la lune dans le jardin, les mots
de Neruda dans un vieux livre et les mains qui se promènent sur un piano, la douceur
de la Méditerranée en septembre et le goût du pain. A rien. Je ne veux plus que
de l’inutile, de l’incompétent et du sans rendement. Je ne veux plus de
résultats comptables ni de statistiques. Qu’on ne me demande plus de prouver
quoi que ce soit.
Dans les « je
me souviens » de mes apprenants il y a avait les temples, la terreur, la
vie, le bonheur et la viande. Dans leurs petites phrases éparses, si difficilement formulées,
remplies de fautes et de maladresse, il y avait l’enfance. Il y avait la beauté.
Ils ne m’ont pas demandé à quoi ça sert.